Avocats en danger dans le monde, une profession unie autour d’un combat identitaire

Le barreau de Paris a lancé le 10 décembre 2020 son programme d’accueil et de répit pour les avocats menacés partout dans le monde.

Le CNB a proposé en assemblée générale du 11 septembre 2020 un plan d’action regroupant 17 actions de mobilisation et de communication de court et de moyen terme.

Le but poursuivi est de fournir un soutien efficace aux avocats menacés dans l’exercice de leurs fonctions et de sensibiliser les pouvoirs publics et sociétés civiles sur la nécessité d’agir au soutien des avocats menacés dans le monde.

Le CCBE (qui représente plus d’un million d’avocats dans 46 pays d’Europe) a décerné le 25 novembre 2022 son prix des droits humains à l’avocate ukrainienne Nadia Volkova et à l’UNBA (le barreau ukrainien) pour leur courage, leur détermination et leur engagement à défendre les droits humains et l’état de droit en Ukraine.

Chaque barreau, chaque école d’avocats doit prendre sa place dans ce combat identitaire.

Ce sont des occasions de rappeler que cette triste réalité ne s’arrête pas à notre emblématique consœur iranienne Nasrin Sotoudeh, mais concerne de nombreux avocats dans le monde confrontés à des autorités d’état qui font le choix de dénier les libertés individuelles, les droits humains et l’état de droit.

Par nature, l’exercice de la profession d’avocat interroge le cadre juridique défini par l’état.

Fondamentalement, l’exercice de la défense amène à questionner la légitimité du système juridique d’un état, et la juridiction saisie vérifie à chaque fois cette légitimité au travers de la réponse judiciaire qu’elle apporte.

La pérennité de l’état de droit émerge de cette confrontation judiciaire, portée et nourrie par la défense de droits humains et de libertés fondamentales et soumise à l’arbitrage de tribunaux indépendants et impartiaux.

Mais pour que le tout fonctionne, l’exercice de la défense suppose qu’elle soit menée par un professionnel dont l’indépendance et le secret professionnel sont garantis.

Associée au strict respect de sa déontologie, l’indépendance de l’avocat garantit aux citoyens une pleine liberté dans l’organisation de leur défense

Toujours associé au strict respect de sa déontologie, le secret professionnel absolu de l’avocat procure à toutes personnes un espace intime et protégé au sein duquel elles peuvent se remettre en question sans s’exposer, et ainsi envisager d’évoluer.

C’est un outil indispensable d’évolution humaine, donc d’amélioration sociale.

Tous les états qui veulent faire primer leur autorité sur les libertés individuelles veillent d’abord à rendre les tribunaux et les juges dépendants et sous la hiérarchie du pouvoir (notamment par les procédures de nomination et de discipline des juges), puis restreignent les libertés d’action et de parole des avocats en limitant, voire en supprimant leur secret professionnel et leur indépendance.

Cela passe le plus souvent par l’engagement de poursuites disciplinaires ou pénales à l’encontre d’avocats sur des fondements détournés (interdictions de réunions, fraudes et subversions diverses), par une confusion entretenue entre l’avocat et son client (postuler par exemple que l’avocat d’une personne présentée comme un terroriste est lui-même un terroriste) puis par une mise à l’isolement de l’avocat poursuivi sans possibilité d’organiser sa défense (comme s’il s’agissait d’un prisonnier de guerre en quelque sorte).

Cela passe aussi par une absence de réaction adaptée (voire absence de réaction tout court) des autorités lorsque les avocats subissent menaces et violences de la part d’adversaires de leurs clients ou plus souvent d’individus non identifiés, spécialement lorsque les causes qu’ils défendent impliquent les intérêts de l’état.

Dans ces états, les avocats qui font le choix d’assurer la défense des libertés fondamentales et des droits humains ou qui portent des intérêts économiques divergents de ceux du pays où ils exercent se trouvent en situation de risque d’être interdits d’exercer dans le meilleur des cas, sinon d’atteintes à leur intégrité, voire à leur vie et ou celle de leurs familles.

Ne nous leurrons pas, ces questions intéressent tout autant le droit des personnes que celui dit des affaires.

Dans ce domaine d’ailleurs, les états qui veulent défendre leurs intérêts économiques ne sont jamais en reste et même des démocraties considérées comme solides peuvent agir ou même seulement laisser faire avec une incroyable violence.

A cet égard, le cas de notre confrère Steven Donzinger aux Etats Unis est également emblématique.

Nous indigner en tant qu’avocats du sort de nos confrères menacés dans le monde, c’est aussi nous rappeler qui nous sommes, nous reconnaitre mutuellement à travers le monde, et en nous réunissant sur des valeurs communes, renforcer la défense de notre rôle et de notre statut dans toutes les sociétés humaines.

Ce sujet est en définitive tellement identitaire qu’il devrait faire l’objet d’un enseignement dédié dans nos écoles d’avocats.

Car au-delà de l’indignation, en lisant en creux le sort subi par les avocats menacés dans le monde, nous identifions plus clairement les composantes indispensables du statut de l’avocat dans un état de droit.

Alors que nous voulons les aider, ce sont en fait eux qui nous aident en premier.

C’est donc notre devoir, en retour, de leur tendre la main.

Le document joint est une éphéméride un peu particulière que l’IDHAE (institut des droits de l’homme et des avocats européens) présidée par notre confrère Bertrand Favreau de Bordeaux publie régulièrement.

Cet institut a créé l’Observatoire mondial des droits de la défense et des violations des droits des avocats, opérationnel depuis 1984.

Il est heureux que ce travail méthodique, complet et récurrent depuis 40 ans soit mis en lumière dans un contexte où ces prises de conscience commencent à émerger à la hauteur des enjeux de notre profession.