Sans la désobéissance civile, les femmes auraient elles obtenu le droit de vote aux mêmes époques ?
Sans la désobéissance civile, nos sociétés pourront elles s’adapter assez vite aux changements climatiques ?
Qui connait la convention d’Arrhus, cette convention internationale contraignante sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement ?
Cet instrument de droit international donne aux membres du public (les personnes physiques et les associations qui les représentent) le droit d’accès à l’information et de participation au processus décisionnel en matière d’environnement, ainsi que d’exiger réparation si ces droits ne sont pas respectés.
Dans un papier de positionnement sur la répression par l’Etat des manifestations et de la désobéissance civile environnementale, le rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement au titre de la convention d’Aarhus dénonce l’atteinte majeure qui résulte de cette répression pour les droits humains et la démocratie[1].
Nous sommes loin ici des discours dominants en France qui criminalisent les acteurs de la défense de l’environnement en parlant d’éco terrorisme, ou qui doutent ouvertement de la nécessité d’un état de droit dont ils ne comprennent pas la fonction profondément démocratique et évolutionnaire.
Les juristes le savent, le droit est le reflet de la société humaine dont il est issu et son étude permet d’en apprendre beaucoup sur celle-ci[2].
Sa pratique procure aussi une occasion d’observer comment le changement opère au travers d’un dialogue constant entre la société et le droit qui la régule.
Ce dialogue met en mouvement l’état de droit dont la structure assure la pérennité de notre contrat social et de la paix civile tout en intégrant le changement en continu, notamment au travers de la Justice.
La désobéissance civile est une modalité de ce dialogue.
Utilisée à bon escient, elle est un formidable outil d’évolution de nos sociétés.
La désobéissance civile désigne une action non violente, individuelle ou collective, publique ou non, consistant à enfreindre (ou mettre en échec par une infraction liée) une règle du droit en vigueur que ses participants tiennent pour illégitime, et qu’ils souhaitent dénoncer, voire faire abroger.
Elle tire son fondement juridique dans la résistance à l’oppression, que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 qualifie de droit naturel et imprescriptible de l’homme au même titre que la liberté, la propriété et la sureté[3].
Elle a précisément besoin, pour fonctionner, de déclencher une poursuite judiciaire.
Son efficacité repose sur la notion juridique d’état de nécessité qui constitue dans le droit positif de la plupart des pays démocratiques ce que l’on appelle en droit pénal un fait justificatif excluant toute responsabilité pénale et qui est ainsi défini :
N’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace.
Si un tribunal reconnait cet état de nécessité et prononce la relaxe du ou des auteurs de l’acte poursuivi qui n’est donc plus incriminé, la règle dénoncée qui constituait le fondement de cette incrimination ou qui était mise en échec par la justification de l’infraction commise qui lui était liée s’en trouve nécessairement affaiblie, voire remise en question.
L’objectif poursuivi, et parfois le résultat obtenu consiste donc en une modification durable de l’état du droit et par répercussion de notre contrat social.
C’est en ce sens un exercice de pouvoir citoyen.
La jurisprudence fournit des exemples de décisions qui, rendues sur le fondement de l’état de nécessité, légitiment en réalité des formes de désobéissance civile[4], même si certains auteurs préfèrent, pour désigner une action individuelle, le concept d’objection de conscience.
Les conditions de succès d’une telle action sont aussi subtiles et celle-ci doit être bien réfléchie, cadrée, et cantonnée pour créer les conditions de la reconnaissance d’un état de nécessité.
N’en déplaise à celles et ceux qui voudraient la criminaliser, la désobéissance civile est en réalité parfaitement intégrée dans la structuration juridique de nos contrats sociaux au travers de l’état de droit, puisqu’elle y est en son sein immédiatement opérationnelle.
Sa disponibilité dans notre droit constitue une chance précieuse pour nos sociétés occidentales au regard de la situation de toutes celles et ceux dans le monde qui, pour résister à l’oppression, doivent se mettre en danger physique.
En décembre 2023, 32 départements ont proclamé leur refus d’appliquer la loi immigration telle qu’elle venait d’être adoptée par le Parlement et qui intégrait dans notre système juridique républicain le concept de préférence nationale pour l’attribution de certaines allocations.
Un tel refus impliquait nécessairement de faire face à toutes les conséquences juridiques que cela implique, en particulier l’inéluctabilité de contentieux devant les tribunaux administratifs dans lesquels il aurait été indispensable de défendre une position humaniste et républicaine.
La désobéissance civile ne se réduit donc pas à des actions spectaculaires dans les musées ou sur les périphériques urbains.
Loin de constituer une attitude marginale, la désobéissance civile est parfaitement intégrée dans nos cultures juridiques et sociales et constitue un outil salutaire d’évolution sociétale et de défense de valeurs universelles.
[1]https://unece.org/sites/default/files/2024-02/UNSR_EnvDefenders_Aarhus_Press_Release_Position_Paper_Civil_Disobedience_FR.pdf
[2] Rémy Libchaber – Où va le droit ? – Là où la société le conduira… in La Semaine Juridique Edition Générale n° 28, 9 juillet 2018, doctr. 813
[3] Art 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.
[4] Par exemple sur le fin de vie, un vétérinaire relaxé en première instance pour avoir prescrit du Pentobarbital à un ami atteint de la maladie de Charcot (tribunal correctionnel d’Angers 2 mai 2022)